Les perles de Noël
Il était une fois un jeune homme pauvre du nom de Godefroy. Il n'était pas grand chose et n'avait pour tout avenir que la perspective de s'engager sur un navire qui chassait la baleine et mouillait dans le port de son petit Comté. Ce futur ne le réjouissait guère, lui qui rêvait d'une Dame chaque nuit que Dieu faisait. Il était amoureux de la fille du Comte, ni plus, ni moins, qu'il avait aperçue un beau jour se promenant sur les remparts du château. Elle s'appelait Gwendoline et était d'une telle beauté que le jeune homme ne voyait plus les autres femmes, ce qui ne manquait pas d'attirer les quolibets de ses camarades. Seul un ami le comprenait, un homme d'armes qui servait sous les ordres du Comte et qui avait déjà vu lui aussi la beauté de la Dame. Mais son ami était parti avec l'armée du Comte guerroyer en de lointaines contrées à l'appel du roi. Certains disaient même le Comte mort et son armée décimée. Godefroy était bien seul sans cet ami qui le comprenait. Aaah, que n'aurait-il point donné pour approcher la belle, que n'aurait-il point offert pour un baiser de sa bouche, même sur la joue, même une seule fois. Le jeune homme était désespéré car il savait cela impossible, mais il ne pouvait s'empêcher d'y penser.
Vint la nuit de Noël. Toute la journée, Godefroy qui vivait seul avait passé la serpillière, rangé la maisonnée, installé la petite crèche qu'il avait faite de ses mains et dressé un petit sapin par dessus pour la protéger car par endroit la toiture était trouée et laissait passer parfois quelques flocons de neige. Il était temps à présent pour Godefroy de se rendre à la messe de minuit, lui qui espérait apercevoir à nouveau la Dame de ses rêves.
Lorsqu'il arriva à la porte de la cathédrale celle-ci était déjà si pleine qu'il ne lui restait plus qu'un petit endroit où il pouvait encore se tenir, debout près de l'entrée. Lui le manant, le moins que rien était bien à sa place, dernier des derniers, dans les courants d'air que laissait passer la lourde porte de bois. Là-haut sur les toits, les gargouilles de pierre qui l'avaient vu entrer dans cette cathédrale comble semblaient rire à présent de son malheur, lui qui ne verrait pas encore cette fois la dame de son coeur. La messe commença, mais il ne voyait rien et entendait à peine l'évêque qui annonçait la naissance de Christos. Alors Godefroy se mit à genoux sur les froides dalles de la cathédrale et se mit à prier celui qu'on était venu célébrer cette nuit-là. Il le pria de tout son coeur, de toutes ses forces afin qu'un jour, il put enfin l'approcher et la voir. Quand quelqu'un ouvrit la porte.
C'était un homme d'armes, avec sa hallebarde, son casque et sa cotte de mailles. Le soldat lui mit la main sur l'épaule et il se releva. C'était son ami ! Il était revenu au pays. Mais il avait l'air mal en point et complètement épuisé. « Godefroy, je n'aurai pas la force, c'est à toi de le faire. Va donner ceci à la fille du Comte. En mains propres. Tout de suite. Va, mon ami, va. » Et il lui remit un petit rouleau de parchemin avant de s'effondrer. Les gens qui étaient là prirent immédiatement soin de lui et Godefroy ne perdit pas un instant.
Il se fraya tant bien que mal un passage à travers la foule qui se massait debout près des portes de la cathédrale. Puis il emprunta l'allée centrale qui traversait la nef sous les regards médusés de toute l'assistance qui se demandait qui osait interrompre ainsi la messe de Noël. Godefroy n'en avait cure, il devait remettre son message à la fille du Comte et était prêt à tout pour cela. Mais la garde comtale ne l'entendit pas de cette oreille et s'empara de lui au moment où il allait arriver près d'elle. Les soldats allaient l'emmener au dehors pour lui faire payer de sa vie son impudence quand dans un dernier effort, Godefroy eut le temps de crier à la Dame qu'il avait un message à lui remettre en mains propres. Celle-ci ordonna à la garde de le lâcher et enfin Godefroy put s'approcher d'elle. Son rêve s'accomplissait. Lui, le dernier des derniers, le plus humble d'entre tous allait enfin voir la fille du Comte.
Quand il fut face à elle, il fut tellement émerveillé par sa beauté qu'il en oublia de lui remettre son message, ce que la Dame lui rappela avec douceur, touchée par le courage de cet homme qui avait osé braver sa garde, seul et sans arme. Elle déroula le parchemin qu'il lui tendit et le lut avec empressement. C'était l'écriture de son père. « Père est vivant » cria-t-elle enfin, les larmes aux yeux. Et la foule acclama la bonne nouvelle dans toute la cathédrale. De bonheur, Gwendoline lâcha le parchemin, prit Godefroy dans ses bras et l'embrassa sur les deux joues pour le remercier. Puis, n'ayant plus un sou car elle avait tout donné à la quête pour les pauvres, d'un geste gracieux, elle détacha les deux perles qu'elle portait aux oreilles en pendentif et les offrit en cadeau à Godefroy. « Nous nous reverrons. » lui chuchota-t-elle dans un sourire.
Lorsque le jeune homme revint dans sa chaumière, il accrocha les deux perles à son sapin juste au-dessus de la crèche, s'assit dans son petit fauteuil tout prêt de l'âtre et les yeux pleins de rêve, il contempla les perles en pensant à sa Dame jusqu'au bout de la nuit, une merveilleuse nuit de Noël.